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Les Voivres
Actualité / Message

Ce jour là, ces jours là

01 août 2015 Par jeannot88 Réagir
En écho à l’article « Ce jour là » et à mon commentaire, parus sur le blog de Bernard Munier, je vais essayer de me "mettre dans la peau" d'un Voivrais, en cavale du 27 juillet au 12 août 1822, condamné aux travaux forcés à perpétuité, il y a maintenant 193 ans.
Reconnaîtrait-il cette image du Bagne de Toulon, où il aurait été incarcéré à partir de 1822 ? Qu'a-t-il pu ressentir pendant ces jours là, ces 17 jours de "liberté" ? Comment a-t-il vécu cette peine démesurée ; a t-elle été éventuellement écourtée ? Si oui, se peut-il qu'il soit retourné aux Voivres ? Autant de questions auxquelles, à mon avis, nous ne sommes pas près de répondre...
► Archives du Var en ligne :
BOURGEOIS (Florent)
Né vers 1798
Lieu de naissance : Les Voivres (Vosges)
Profession : Maréchal ferrant
Emprisonné au bagne de : Toulon
Date d’évasion : 27 juillet 1822
Date d’arrestation : 12 août 1822
Condamné pour : Vol aux travaux forcés à perpétuité
► Le bagne de Toulon par le philosophe Arthur Schopenhauer
[ Arthur a quinze ans en 1803 lorsqu’il effectue un grand voyage autour de l’Europe avec ses parents. Lors d’une visite au bagne de Toulon dans le quartier des galériens, le jeune homme va constater l’horreur suscité par ce misérable monde clos. Cette visite qui le marquera durablement le fera dire plus tard : « Ne sommes-nous pas tous compagnons d’une colonie pénitentiaire ! » ]
« Tous les travaux pénibles de l’arsenal sont exécutés par des galériens. Leur vue frappe les étrangers. On les range en trois catégories [cercles de l’enfer !] : la première est formée de ceux qui sont condamnés pour des crimes légers, et qui sont là pour peu de temps, comme les déserteurs, les soldats qui ont manqué à l’obéissance. Ils portent seulement un anneau de fer aux pieds, et circulent librement, c’est-à-dire dans l’arsenal, car la ville est interdite aux forçats. La deuxième catégorie est constituée de plus grands criminels. Ils travaillent enchaînés deux par deux, par des fers aux pieds. La troisième catégorie, formée des plus grands criminels, est enchaînée aux bancs des galères qu’elle ne quitte jamais. Ceux-ci font des travaux qu’ils peuvent exécuter assis. Je considère que le sort de ces malheureux est beaucoup plus affreux que celui des condamnés à mort. Les galères que j’ai vues de l’extérieur semblent être les endroits les plus sales et les plus écœurants que l’on puisse imaginer. Les galères ne naviguent plus : ce sont de vieux navires désaffectés. Le lit du forçat, c’est le banc auquel il est enchaîné. L’eau et le pain sont toute sa nourriture, et je ne comprends pas pourquoi ils ne périssent pas plus tôt, puisqu’ils manquent de toute nourriture substantielle et sont dévorés par le chagrin et épuisés par le travail, car pendant leur esclavage on les traite comme des bêtes de somme. Il est affreux de songer que la vie de ces misérables galériens est dépourvue de la moindre joie et n’a plus aucun but, pour eux dont les souffrances ne s’achèveront pas avant vingt-cinq ans. Peut-on imaginer un sentiment plus affreux que celui qu’éprouve un malheureux qui est enchaîné au banc d’une galère sombre, d’où seule la mort peut le détacher ? Chez certains, la souffrance est encore augmentée par la présence continuelle de celui qui est attaché à la même chaîne. Et quand arrive enfin le moment qu’il désire depuis dix ou douze ans, ou ce qui est plus rare, depuis vingt ans, avec des soupirs quotidiens de désespoir, c’est-à-dire la fin de l’esclavage, que devient-il ? [Je ne comprends pas, puisqu’il est dit plus haut que « seule la mort peut le détacher ». Y a-t-il une véritable perpétuité ? Il semble que non et que le maximum de détention soit vingt-cinq ans.] Peut-il revenir dans un monde pour lequel il est mort depuis dix ans ? Les chances qu’il avait dix ans auparavant lorsqu’il était plus jeune ont disparu. Personne ne veut prendre celui qui revient d’une galère, et dix ans de châtiment ne l’ont pas lavé du crime d’un moment. Il doit redevenir criminel et il finit aux assises. J’ai été atterré d’apprendre qu’il y avait six mille galériens »
(Journal de voyage, Mercure de France)
► Un bagne (ce n'est pas celui de Toulon, mais il est question de voleurs) vu par Victor Hugo (27-02-1853)
Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l'école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.
C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.
Où rampe la raison, l'honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.
L'école est sanctuaire autant que la chapelle.
L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
S'éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.
La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.
Faute d'enseignement, on jette dans l'état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c'est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L'intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre,
Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or.
Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme.
► La complainte des galériens
La chaîne
C’est la grêle
Mais c’est égal
Ça n’fait pas d’mal
Nos habits sont écarlates,
Nous portons en lieu d’chapeaux
Des bonnets et point d’cravate
Ça fait bross’ pour les jabots
Nous aurions tort de nous plaindre
Nous somm’s des enfants gâtés,
Et c’est crainte de nous perdre
Que l’on nous tient enchaînés.
Nous f’rons de belles ouvrages
En paille ainsi qu’en cocos,
Dont nous ferons étalage,
Sans q’nos boutiqu’s pay’ d’impôts,
Ceux qui visitent le bagne
N’s’en vont jamais sans ache’ter ;
Avec ce produit d’laubaine
Nous nous arrosons l’gosier.
Quand vient l’heur’ de s’bourrer l’ventre,
En avant les haricots !
Ça n’est pas bon, mais ça entre
Tout comm’le meilleur fricot,
Notr’guignon eût été pire,
Si, comm’des jolis cadets,
On nous eût fait raccourcir
A l’abbaye d’Mont-à-Regret
► Après une hypothétique libération dont il aurait pu bénéficier - ce qui n'est pas prouvé - notre bagnard vosgien a-t-il dû se conformer, à l'image de cet autre bagnard Nicolas Guilly, aux obligations d'une feuille de route et d'un congé de forçat ?
Un ancien bagnard à Prégilbert
Le classement et la description des archives centenaires déposées par la commune de Prégilbert en 2010 a mis au jour un document exceptionnel qui jette une lumière inattendue sur la vie de Nicolas Guilly, condamné deux cents ans plus tôt à 12 ans de bagne.
La surveillance des anciens forçats, vus comme dangereux même après qu'ils ont purgé leur peine, préoccupe les autorités, qui les gardent à l’œil dès leur libération.
Quand Nicolas Guilly, au terme de sa peine de fer, est libéré du bagne de l'arsenal de Toulon le 18 octobre 1822, le commissaire de la Marine préposé à l'administration et à la police de l'établissement rédige deux documents : une feuille de route et un congé de forçat.
La feuille de route lui est remise en mains propres, en même temps que quelques effets (chapeau, chemise, gilet, pantalon et souliers) et un petit pécule : à chaque étape, il est tenu de la présenter aux autorités locales pour la faire viser ; lui est alors délivrée une somme d'argent pour se rendre à l'étape suivante, qu'il est contraint de gagner.
Le congé de forçat est quant à lui envoyé au maire de la localité où le détenu a déclaré vouloir résider : il lui est remis en échange de sa feuille de route. En cas de non-présentation, le maire est chargé d'alerter les autorités préfectorales.
Ce document permet de mieux connaître l'intéressé, son apparence physique, son état civil, mais aussi les raison, durée et lieu de son incarcération, ainsi que la date de sa libération. En le confrontant à d'autres sources (registres paroissiaux puis de l'état civil, minutes de la Cour de justice), c'est son parcours qu'il est possible de retracer.
Né en 1783 à Prégilbert, Nicolas Guilly, tonnelier, est père d'une petite fille d'un an quand il est condamné le 15 octobre 1810 par la Cour de justice de l’Yonne – ancêtre de la Cour d’Assises – à 12 ans de travaux forcés pour vol avec effraction dans une propriété privée. Dès le 24 octobre suivant, il quitte Auxerre pour purger sa peine au bagne de Toulon, où il est probable qu'on met à contribution son savoir-faire pour travailler à l'arsenal. À sa libération, il retourne s'établir à Prégilbert avec son épouse, Marie Ballet, sa fille et son gendre. À la mort de Marie, en 1845, on perd sa trace : on sait simplement qu'il décède, manifestement indigent, à l'hospice civil de Melun en 1848.
Le congé de forçat doit théoriquement être conservé par l'ancien détenu, qui a défense de déménager sans en avertir les autorités : Nicolas Guilly a-t-il quitté Prégilbert en laissant sur place des papiers personnels, récupérés par le maire et conservés en mairie avant d'être déposé aux archives départementales, en même temps que les documents centenaires déposés en 2010 ? Quoi qu'il en soit, ce dépôt réglementaire a permis de conserver trace de cette vie singulière.
Congé de forçat accordé à Nicolas Guilly (1822)
archives déposées de la commune de Prégilbert, arch. dép. Yonne, E-dépôt 314/2 J 3

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Ce jour là, ces jours là
jeannot88

L'auteur jeannot88 est l'auteur de ce message sur Les Voivres (Vosges) publié le samedi 01 août 2015 à 11h13.

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